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l’on remplit d’un café fait à la turque, dans des cafetières de Constantinople.

Alors, ramenant ses jupes contre elle, de peur d’effleurer la petite table, traverse la chambre, une grande jeune fille qui s’en va dans le fond écouter, et passe la soirée à envoyer à son père le sourire de sa figure amoureusement renversée, toutes les fois qu’il a couru des dangers ou s’est battu avec des punaises.

Puis, le café est remplacé sur le tabouret-table par quatre grands pots de confitures de Constantinople, confitures de bergamote, de fleurs d’oranger, de roses, et d’une sorte de mastic blanc, vous mettant dans la bouche le pays qu’on a dans l’oreille.

Soirée charmante, prolongée jusqu’à deux heures du matin, où nous trouvons toutes les douceurs de la famille mêlées à tous les chatouillements de l’exotique.

22 mai. — Maintenant il n’y a plus dans notre vie qu’un grand intérêt : l’émotion de l’étude sur le vrai. Sans cela l’ennui et le vide.

Certes, nous avons galvanisé, autant qu’il est possible, l’histoire, et galvanisé avec du vrai, plus vrai que celui des autres, et dans une réalité retrouvée. Eh bien, maintenant, le vrai qui est mort ne nous dit plus rien. Nous nous faisons l’effet d’un homme habitué à dessiner d’après la figure de cire, auquel serait tout à coup révélée l’académie vivante — ou plutôt la vie même avec ses entrailles toutes chaudes et sa tripe palpitante.