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20 mai. — Ce soir, nous passons la petite porte d’une barrière de bois enverdurée, au fond d’une grande maison de la rue de Vaugirard, et nous voici chez Tournemine.

Un gai rez-de-chaussée, tout plein de pimpantes aquarelles, de tableautins d’amis, d’armes orientales. Dans de petites vitrines chatoient des soies aux couleurs délicieuses, des vestes, des gilets de femmes turques montrant leurs rangées de boutons d’or où est sertie une perle : un petit musée de souvenirs de l’Orient.

Le peintre de la Turquie d’Asie veut bien nous communiquer, pour notre futur roman (Manette Salomon), les lettres qu’il a écrites à sa femme ; et voici celle-ci, qui apporte un paquet de ces longues grandes lettres, rendues presque vénérables par une dizaine de timbres. Elle se met à les relire, heureuse, et repassant ainsi toutes les joies qu’elle a eues à les recevoir : son front bombé, ses joues grassouillettes, ses yeux doux, sa bonne figure aimable, éclairés par les deux lampes.

À de certains passages, des souvenirs font sauter dans sa poitrine le cœur du peintre, qui donne des coups de poing sur le divan, revoyant les choses, avec sur la figure du Paradis, et s’écriant : « Ah ! que c’était beau ! »

Au milieu de cette lecture qui fait respirer l’Orient, on tire, au milieu de la pièce, un tabouret à mosaïque de nacre, sur lequel on place, dans leurs coquetiers en filigrane d’argent, les petites tasses bleues que