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Et j’aime à me figurer que l’atelier de Rembrandt était au midi, et que par un système quelconque, un arrangement de rideaux, par exemple, il dirigeait un jour ensoleillé sur son modèle, l’amassait sur ce qu’il voulait, le dardait à sa volonté, peignant, en un mot, les choses et les êtres non plus éclairés par un jour des Limbes.

 

La toile tombe, les rochers descendent dans le troisième dessous, les nuages remontent au cintre, le bleu du ciel regrimpe dans les frises, les praticables démontés s’en vont par les côtés, pièce à pièce, l’armature nue du théâtre peu à peu apparaît. L’on croirait voir s’en aller une à une les illusions de la vie. Ainsi que ces nuages, ainsi que ce lointain, se renvoient lentement au ciel l’horizon de la jeunesse, les espoirs, tout le bleu de l’âme ! Ainsi que ces roches, s’abaissent et sombrent une à une les passions hautes et fortes !

Et ces ouvriers, que je vois de ma loge sur la scène, et qui vont et qui viennent sans bruit, mais empressés et enlevant par morceaux tous ces beaux nuages, firmaments, paysages, roulant les toiles et les tapis, ne figurent-ils pas les années, dont chacune emporte dans ses bras quelque beau décor de notre existence, quelque cime où elle montait, quelque coupe qui était de bois, de bois doré, mais qui nous semblait d’or.

Et comme, perdu là-dedans, les idées flottantes, je regardais toujours le théâtre tout nu, tout vide, une