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Samedi 6 mai. — Ce matin, très matin, on a sonné. Nous n’avons pas ouvert. À dix heures on me monte une lettre pour laquelle on demande une réponse : c’est notre lecture à la Comédie-Française, lundi prochain.

Je cours aux Français, on m’introduit auprès de M. Guyard, qui me dit de revenir dans l’après-midi, parce que le soir Thierry s’enferme pour chercher les effets de notre pièce. Nous allons voir Thierry sur le coup de cinq heures, tout pleins de confiance, arrangeant, ordonnant tout d’avance dans notre tête. Mais voilà que, sur nos espérances, tombent ainsi que des gouttes d’eau glacées, des paroles de Thierry, nous disant qu’il n’a pas trouvé tout le concours qu’il espérait dans Got, que Got appartient trop à Laya, auquel il est reconnaissant outre mesure de son succès dans le Duc Job, et que venant de jouer un rôle de vieux, il veut jouer un rôle jeune : — tout cela confidemment et discrètement dit, comme des choses dont on ne laisse passer que la moitié, et qui font redouter ce qu’on ne dit pas. Des phrases, à la fin de notre visite, semblent en quelque sorte vouloir amortir un refus, nous consoler d’avance, en cas de non-réception, des phrases qui font appel à d’autres pièces que nous pourrions faire.

Nous sortons du cabinet de Thierry, sans nous rien dire, l’espérance un peu découragée. Notre beau rêve s’écroule à demi, et je sens comme ma bile se remuer, prête à l’épanchement, me donnant un vague malaise, une sorte de mal de mer.