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d’un bouquet de mariée. Ces voitures : ça sent la fête, le compliment, les jours endimanchés.

Les mariés ne sont pas arrivés. J’attends sous le péristyle de la mairie.

Passe une lorette, riante et bouffant de la jupe, les yeux de son métier sous le voile qui joue sur le rose de son teint, une torsade d’or dans les cheveux, comme si elle les avait noués avec sa ceinture : elle sent le musc, le désir et la nuit. La vie de Paris surtout a de ces coudoiements et de ces antithèses. Sous la salle où l’on se marie, c’est la justice de paix, et celle-ci y va sans doute pour quelque démêlé avec son tapissier.

Elle y entre, en jetant sur la porte, à ma cravate blanche qu’elle croit la cravate du marié, le sourire d’adieu du libre amour : c’est le Plaisir, la Beauté, la Grâce d’orgie, l’Élégance, le Désordre, la Dette.

Et voici le contraire qui descend de voiture : la Dot, le Ménage, l’Économie, la Famille, l’Épouse.

— « Levez-vous, voici M. le Maire, » nous dit un garçon en bleu.

Nous sommes dans une grande salle, tendue d’un papier chocolat, où il y a des fauteuils de tragédie, recouverts d’un velours usé et miroitant, et un buste de l’Empereur soutenu par un aigle, qui a l’air d’une oie. Le maire, au crâne en pain de sucre, bridé dans sa sous-ventrière tricolore, a l’air d’un maire grognon d’une farce du Palais-Royal.