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lette des cartons effleurés par la robe d’une jeune, grasse et gaie chanteuse, au nom de Mlle Hermann. Une atmosphère de cordialité, de bonne enfance, de famille heureuse, qui reporte la pensée à ces ménages artistiques et bourgeois du XVIIIe siècle. C’est un peu une maison riante et lumineuse, telle qu’on s’imagine la maison d’un Fragonard.

Le soir, après dîner, trois hommes se sont présentés à la porte du salon, et voyant des femmes, ont reculé gauchement avec des saluts gênés. Je les ai suivis dans l’atelier où ils venaient donner des renseignements, sur un nommé Soumy, un mort de leurs amis.

Ils portaient des chapeaux mous, des vieux manteaux de voyageurs de malle-poste. Ils sont restés debout comme des gens qui ne savent pas s’asseoir, les mains dans les poches, se dandinant ou le dos calé contre un meuble. Ils avaient des voix d’ouvriers dans le monde, des voix à la fois canailles et maniérées de jeune premier de barrière qui file les mots, sans être sûr de leur orthographe. Tout en eux respirait le manque d’éducation, et montrait l’homme du peuple prétentieux, devenu insupportable par je ne sais quel orgueil d’idéal. Ils disaient des phrases d’art comme des sentences d’argot. Sur leur figure au teint des gens mal nourris, et noire d’une barbe non faite, on lisait je ne sais quoi d’hostile, de rétracté, d’un passé de bohème qui fait amer.

L’un surtout avait une tête taillée à la serpe, la