Page:Goncourt - Journal, t2, 1891.djvu/26

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

jouer de la façon la plus tressaillante. Mille ressources, mille secrets se découvrent en vous pour souffrir.

On devient, à force de s’étudier, au lieu de s’endurcir, une sorte d’écorché moral et sensitif, blessé à la moindre impression, sans défense, sans enveloppe, tout saignant.

11 mars. — Nous allons visiter les catacombes avec Flaubert. Des os si bien rangés, qu’ils rappellent les caves de Bercy. Il y a un ordre administratif qui ôte tout effet à cette exhibition. Il faudrait, pour la montre, des montagnes, des pêle-mêlées d’ossements et non des rayons. Cela devrait monter tout le long de voûtes immenses et se perdre en haut dans la nuit, ainsi que toutes ces têtes se perdent dans l’anonymat… Puis l’agacement de ces Parisiens loustics, un vrai train de plaisir dans un ossuaire, et qui s’amuse à jeter des lazzis dans cette caverne du néant…

En regardant tous ces restes, tout ce peuple d’os, je me demandais : Pourquoi ce mensonge d’immortalité, le squelette ?

— Le plus fin critique du XVIIIe siècle est peut-être Trublet, oui cet abbé ridicule, qui a trouvé cette définition du génie de Voltaire : « la perfection de la médiocrité », et qui a eu l’audace de mettre La Bruyère au-dessus de Molière.

12 mars. — Nous sommes à l’Opéra, dans la loge du directeur, sur le théâtre.