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comme il faut. Non seulement la femme, mais même le mari me parle à table ! » Et c’est encore l’histoire arrivée à un riche Anglais de ses amis, qui reçoit, le même jour, congé de son valet de chambre, de son cocher, de son groom. Il s’adresse à la femme de charge, qui lui dit : « S’il n’y avait pas un demi-siècle que je suis chez vous, moi aussi je serais partie ! Venez voir le désordre de la cuisine. » Et elle le mène dans une vaste cuisine, où au milieu se trouvait une table très propre : « Eh bien, vous ne voyez pas… Cette table est ronde… Cela fait que, tantôt le cocher se met à côté de moi, tantôt le groom, tandis que si la table était carrée, le valet de chambre serait toujours à sa place, à côté de moi. » Ce qu’il y a de beau, ajoute Herzen, c’est que lui aussi, le groom, avait donné son compte, dans la prévision que, dans quelques dizaines d’années, quand il serait devenu valet de chambre, un autre groom pourrait usurper la place qu’il usurpait dans le moment.

Et comme nous essayions de démêler les caractères des deux peuples français et anglais, Herzen nous dit : « Tenez, il y a un Anglais qui les a assez bien résumés ces deux caractères, dans cette phrase : “Le Français mange du veau froid chaudement ; nous, nous mangeons notre bœuf chaud froidement.” »

— D’homme à femme, peut-être n’y a-t-il de bien vrai et de bien sincère, que les sentiments que la parole n’exprime pas.