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— Les ballons, à force de monter, trouvent un ciel noir, où rien ne se voit plus… C’est à ce ciel que la science finira par arriver.

26 janvier. — La main maigre de l’un de nous, entre les doigts de laquelle brûle un cigare tordu, roulé sur une cuisse de négresse, un cigare plein d’exotisme et d’opium me fait penser ceci :

Un peintre qui fait poser par un modèle les mains d’un portrait, ne sait pas son métier. Rien ne désigne plus un homme que sa main. C’est là qu’apparaît plus nettement l’individualité de l’organisme de chacun, cette personnalité de construction, qui empêche les monteurs de squelettes, de jamais confondre dans le tri de leurs matériaux, le plus petit os d’un corps avec celui d’un autre corps.

Il y a la signature du caractère et la griffe du talent dans cette main de l’homme. Nerveuse, vibrante, impressionnable, elle semble, au bout du bras, une extrémité palpitante, emmanchée, embranchée à la pensée et au cœur.

Comme elles vivent, comme elles parlent, comme elles sont des raccourcis de personnes qu’on devine, qu’on voit, qu’on aime, ces mains de race, cambrées, arquées, et colères, et languides, et voluptueuses ; ces mains de malade et d’artiste, d’élégance capricieuse, tourmentée, presque diabolique ; vraies mains de violoniste, pleines d’âme, fines, longuettes, spirituelles, frémissantes comme des cordes de guitare ; — les mains que Watteau seul a pu peindre,