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de l’activité de penser et d’agir. On est, comme si on avait jeté en avant de soi, de son âme et de sa cervelle. C’est un peu l’affaissement, la déperdition, — qui doit suivre l’accomplissement d’un crime.

Et puis, plus nous allons, plus nous trouvons insupportable et désespérante la platitude de la vie. Les embêtements bêtes s’y succèdent régulièrement, niaisement, bourgeoisement ; les chagrins, les blessures mêmes de l’existence n’ont pas de surprise. Le matin vous mène au soir sans de l’imprévu. On se demande pourquoi on continue à être et à quoi sert le lendemain.

Tout nous blesse, tout nous taquine les nerfs : ce que nous voyons, ce que nous lisons, ce que nous entendons. Il y a eu le monde des sots au moyen âge, il nous semble vivre dans le monde des gogos et des abonnés… Il nous faudrait, pour nous distraire, je ne sais quel grand sens dessus dessous… que le monde dansât quelques jours sur la tête…

Avec cela une vue nette de cette carrière ingrate, abominable et adorée, les lettres : cette carrière qui vous fait souffrir, comme une maîtresse, qui se donnerait à des domestiques.

— La misère ne fait pas les amers désolés. Elle casse un ressort ; elle brise l’indépendance ; elle domestique au lieu de rébellionner.

— Ni la vertu, ni l’honneur, ni la pureté, ne peuvent empêcher une femme d’être femme, d’avoir,