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plein courant : Je n’étais pas mûr… J’aurais produit autre chose… »

Enfin, la causerie va sur Flaubert, sur ses procédés, sa patience, son travail de sept ans sur un livre de 400 pages : « Figurez-vous, s’écrie Gautier, que, l’autre jour, Flaubert me dit : “C’est fini, je n’ai plus qu’une dizaine de pages à écrire, mais j’ai toutes mes chutes de phrases.” Ainsi, il a déjà la musique des fins de phrases qu’il n’a pas encore faites ! Il a ses chutes, que c’est drôle, hein ?… Moi, je crois qu’il faut surtout dans la phrase un rythme oculaire. Par exemple, une phrase qui est très longue en commençant, ne doit pas finir petitement, brusquement, à moins d’un effet. Puis très souvent, son rythme, à Flaubert, n’est que pour lui seul et nous échappe. Un livre n’est pas fait pour être lu à haute voix, et lui se gueule les siens à lui-même. Or, il y a des gueuloirs dans ses phrases qui lui semblent harmoniques, mais il faudrait lire comme lui, pour avoir l’effet de ces gueuloirs. Nous avons des pages tous les deux, vous dans votre Venise, moi dans un tas de choses que tout le monde connaît, aussi rythmées que tout ce qu’il a fait, sans nous être donné tant de mal…

« Au fond, le pauvre garçon a un remords qui empoisonne sa vie. Ça le mènera au tombeau. Vous ne le connaissez pas, ce remords, c’est d’avoir accolé dans Madame Bovary deux génitifs, l’un sur l’autre : Une couronne de fleurs d’oranger. Ça le désole, mais il a eu beau chercher, il lui a été impossible de faire