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qu’il ne peut parler avec une main exsangue, aux ongles encore jaunes de ses habitudes passées de fumeur de cigarettes.

16 octobre. — Croissy. Le parc à neuf heures du soir.

Une allée de haute futaie paraissant emplie d’une lumière électrique, vue à travers un globe dépoli, une lumière vaporeuse et diffuse, effaçant le vert des feuilles, et les baignant dans un fluide pâle et miroitant, semblable à l’eau d’un fleuve qui roule du gaz noyé. — Sur les grands arbres obscurs, çà et là, des bouquets de feuilles ayant, comme les frottis de rousse verdure, faits par le pinceau de Watteau, et dans les petits taillis, tout noirs, un rayon sautillant en maigres zigzagures, coulant sur le revers d’un fossé, s’enfouissant comme une luciole dans une touffe d’herbe. — Près de l’étang, des silhouettes d’arbres, qu’on semble entrevoir à travers la buée d’un carreau. — Comme bruit, rien que la course trotte-menue d’un lapin attardé dans la broussaille, et à toute minute, le bruit de la chute d’une feuille, détachée par l’automne, et qui touche la terre, avec quelque chose du frôlement du pas d’une ombre. — Un silence, mais un silence pourtant vivant par l’insensible friselis des feuilles au haut des arbres, par la sorte de respiration à l’haleine humide, des fourrés endormis. — Des allées sous bois, aux grands espaliers ténébreux, avec d’étroites zébrures de jour sur le chemin, et fermées par une arcade d’ombre, ayant