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aujourd’hui il nous emmène voir le Montalais, la propriété du maréchal Saint-Arnaud, qu’il a envie d’acheter.

Nous l’avons ce vieil ami devant nous, dans la voiture, et nous sommes péniblement remués et frappés au cœur, par sa faiblesse, l’abandon de son corps voûté, les quintes de sa petite toux de gorge qui ne cesse pas, la souffrance qui traverse visiblement l’expression de sa figure, l’absorption qui la fait muette, enfin tout cet aspect navrant d’un homme qui s’en va. Il nous apparaît, pour la première fois, comme quelqu’un vers lequel nous voyons s’approcher la mort, et nos yeux s’attachent involontairement à lui, comme à une personne aimée qu’on va perdre et dont on veut garder le souvenir.

Nous contemplons ce visage fouetté aux pommettes, la lumière fiévreuse du gris de son œil, rayé de filets de sang, cette tête forte, fruste, puissante, pour ainsi dire taillée dans la chair à grands coups d’ébauchoir, s’éclairant, par instants, d’un sourire resté jeune, — d’un sourire qui a, à la fois, de la bonhomie du paysan et de la câlinerie d’une femme.

Arrivé au Montalais, il s’essaye à marcher un peu dans le parc, qui se trouve être une montée presque à pic, coupée par des allées pour les chèvres. Il gravit encore avec un effort infini le grand escalier, au milieu duquel, s’arrêtant las, il nous charge de parcourir les étages supérieurs, et de les lui raconter.

Remonté péniblement dans le fiacre, comme nous lui demandons ses impressions, il nous fait signe