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Gounod est un pur âne[1]. Il y a au second acte deux chœurs de Juives et de Sabéennes qui caquettent auprès d’une piscine, avant de se laver le derrière. Eh bien ! c’est gentil ce chœur-là, mais voilà tout. Et la salle a respiré et l’on a fait un ah ! de soulagement, tant le reste est embêtant… Verdi, vous me demandez ce que c’est. Eh bien ! Verdi, c’est un Dennery, un Guilbert de Pixerécourt. Vous savez, il a eu l’idée en musique, quand les paroles étaient tristes, de faire trou trou trou au lieu de tra tra tra. Dans un enterrement, il ne mettra pas un air de mirliton. Rossini n’y manquerait pas. C’est lui qui, dans Sémiramide, fait entrer l’ombre de Ninus sur un air de valse ravissant… Voilà tout son génie en musique, à Verdi. »

Alors Gautier se met à se plaindre de son temps : « C’est peut-être parce que je commence à être un vieux. Mais enfin dans ce temps il n’y a pas d’air. Il ne s’agit pas seulement d’avoir des ailes, il faut de l’air… Je ne me sens plus contemporain… Oui, en 1830, c’était superbe, mais j’étais trop jeune de deux ou trois ans. Je n’ai pas été entraîné dans le

  1. Mon frère et moi, avons cherché à représenter nos contemporains en leur humanité, avons cherché surtout à rendre leur conversation dans leur vérité pittoresque. Or la qualité caractéristique, je dirai, la beauté de la conversation de Gautier était l’énormité du paradoxe. C’est dire, que dans cette négation absolue de la musique, prendre cette grosse blague injurieuse, pour le vrai jugement de l’illustre écrivain sur le talent de M. Gounod : ce serait faire preuve de peu d’intelligence ou d’une grande hostilité contre le sténographe de cette boutade antimusicale.