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heureuse de sa toilette, comme un enfant, moitié confuse, comme une personne qui se sentirait à peu près nue. Elle cherchait, de sa main libre, à fermer une petite veste qu’elle portait par-dessus, à empêcher de trop voir dessous, sans toutefois la fermer tout à fait. En passant dans la rue, elle a hélé une de ses amies, assise à une fenêtre du rez-de-chaussée, et lui a demandé une épingle, en disant, tout bas : « C’est gênant de montrer sa peau dans la rue ! »

Au salon, nous avons pris une tasse de café, et pendant ce, je ne sais comment, l’épingle s’est défaite. Elle avait un corsage blanc avec des agréments bleus. Une gorgerette en batiste, sous laquelle passait le rosé de sa peau, resserrait encore le peu de chair vivante, montrée aux yeux. Un collier en filigrane d’or, la coupait deux ou trois fois, cette chair, — suspendu sur le sinus de sa gorge… Entre ses deux seins, elle avait placé un œillet rose, à filets pourpres, qui faisait ressortir la blancheur lactée de sa peau, et donnait à l’œillet, l’apparence d’une fleur artificielle.

Et elle sentait l’odeur de l’œillet, en baissant la tête, et en faisant plus creux, le creux de sa gorge. Puis, de temps en temps, elle avait de ces lents errements de main, qui, tour à tour, montraient et cachaient, sous le carmin du bout de ses doigts, le blanc mat de sa peau.

Un moment elle a tiré l’œillet de sa poitrine, l’a longuement senti de ses narines ouvertes, puis me l’a passé, comme une chose qu’elle aurait presque baisée, et m’a dit : « Sentez, j’adore cette odeur.