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toucher, nulle ambition d’occuper un homme. Aucune coquetterie chez elle. Elle a l’amabilité banale, et pour ainsi dire publique, de la femme qui ne s’appartient pas.

Elle a voulu, pour boire à table, avoir un litre, et ne boit qu’au litre, parce que cela lui rappelle son enfance, où elle allait tirer le vin au tonneau.

Elle a par moments des absences, qui ressemblent à l’endormement d’un paysan conduisant une charrette, les yeux ouverts.

Elle dort beaucoup le jour et la nuit. Dans la soirée, à la première chandelle qu’elle voit allumée, il faut qu’elle se couche, disant : « Si j’étais riche, j’apprendrais à ne pas dormir le soir ! » Elle fait des siestes de « bestiau », pendant les chauds midis. Par exemple, le petit jour l’éveille et la voit trôlant dans sa chambre ou cousant dans son lit.

Est-elle par hasard dehors, la nuit venue, elle vous dit de cligner des yeux, pour voir, dans la lune, « Judas avec son panier de choux ».

Elle monte, en promenade, sur les cerisiers, pille les petits pois crus ; sa seule passion est la salade.

En parlant, elle s’adresse de l’œil à la domestique qui sert. Elle va toujours à l’inférieur, et glisse toute la journée à la cuisine, tout en étant très sensible à quelqu’un de noble, à du papier armorié, etc., etc. Au théâtre, elle croit que les grands acteurs sont ceux qui jouent les Rois.

Toujours de bonne humeur, sans nulle susceptibilité, elle a seulement, par les temps lourds et ora-