Page:Goncourt - Journal, t2, 1891.djvu/204

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

efflanqué, que trois femmes en haillons tiennent et battent avec des gifles qui cassent, sur sa tête, son chapeau de haute forme. Toute cette foule, semblable à un grouillement d’êtres sortis de terre, amassée en un clin d’œil. Et des enfants loqueteux qui courent, avec de petits rires féroces, pour voir. Et sur le seuil de ces antres de terre et de débris de démolition, des vieillardes si vieilles qu’elles ont comme du blanc de champignon, comme du moisi sur la figure.

Puis tout à coup au milieu de cela, un homme athlétique en blouse, arrivant sur le jeune homme blond, frêle, échigné, se plaçant froidement en face de lui, et lui donnant, de toute la volée de ses poings terribles, des coups en pleine figure, sans que l’autre riposte, et jusqu’à ce qu’il tombe à terre. Toute la plèbe autour, comme à un spectacle, se repaissant de cette tuerie, sans une révolte d’entrailles contre ce lâche égorgement de la faiblesse par la force.

Puis cela disparu, comme cela était venu, ainsi qu’un cauchemar qui a traversé un rêve.

Une heure après, au delà des fortifications, je rencontre le battu, l’assommé, trébuchant dans les ornières de plâtre, allant au hasard en faisant de grands gestes, sans chapeau, sans redingote, des lambeaux de chemise déchirée, voletant autour de lui, et hébété, et semblant ivre, et s’essuyant machinalement, de temps en temps, du revers de sa manche, un œil sanglant, à moitié sorti de l’orbite.