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de tout ce qu’il ignorait, il finit en disant : « Il n’est capable que d’être le ministre de tout cela. » Et puis les éloges académiques… le vénérable prêtre… tout ce qu’a raconté Dufaure… Eh bien, voilà la vérité. Deux heures avant sa mort, il s’est fait lire les Contes philosophiques de Voltaire. Il avait du reste passé sa vie à citer des vers de la Pucelle… toujours faux. C’est vrai !

— Ah ! dis-je à Sainte-Beuve, si je meurs avant vous, Dieu me garde d’être pleuré par vous !

C’est là le plus grand et peut-être le plus malin esprit causé de Sainte-Beuve : l’éreintement dans la défense. Ah ! un terrible empoisonneur d’éloge.

Il passe le reste du dîner à me faire de petites confidences intimes. L’ennui, l’ennui : c’est sa terreur. Il me répète qu’il s’est retranché dans la philosophie de Sénac de Meilhan. Les plaisirs des sens sont pour lui, les seuls.

Il n’a presque plus de relations de société ! Il ne s’est gardé que trois femmes : la princesse, la Païva, Mme de Tourbet. Il travaille de 8 heures à 5 heures, se promène de 5 à 6, pour mériter de l’appétit. Le mardi, il invite à dîner son secrétaire et une petite dame. Le samedi, il va dîner avec une autre chez un mannezingue, où il a commandé d’avance son dîner… Il préfère l’éreintement du travail à l’ennui, au vide…

Une grande discussion s’élève sur le sentiment de la modernité que Saint-Victor déclare ne pas avoir, et dont Gautier se proclame pourri.