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comblons, oui, bien incomplètement, par cette froide et bonhomme distraction : la collection. Cela nous occupe et ne nous remplit pas.

Enfin il y a une tendresse en nous, qui reste sans issue, sans satisfaction. Nous manquons de deux ou trois maisons bourgeoises, distinguées et affectueuses, où nous pourrions répandre, dégorger tout ce que nous ne donnons pas à la maîtresse, nous qui ne lui donnons guère que de l’habitude, — nous qui, par le fait, ne sommes pas deux, ne sommes point l’un à l’autre une compagnie, nous qui souffrons en même temps des mêmes défaillances, des mêmes malaises, des mêmes maladies morales, nous qui ne sommes à nous deux qu’un isolé, un spleenétique, un névropathe.

Aussi trouvons-nous à la vie, un goût de fadeur, et dans l’ennui d’être, un perpétuel écœurement. Nous sommes comme des gens, qui n’ont entre eux et le suicide, que la trêve de quelques œuvres à faire.

Et au bout de cette reconnaissance et de cet inventaire de nous-mêmes, il nous passe dans la cervelle la fantaisie d’aller à Londres, demain, après-demain, ces jours-ci, nous vautrer en plein dans la prostitution anglaise, dans ces chairs de rêve, dans ces corps de porcelaine, dans cette viande de keepsake.

 

Au fond, de quoi nous plaindre ? Point de chagrin ! De quoi vivre ! Des malaises qui ne compromettent pas encore la vie ! Une espèce de réputation litté-