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heureux et flatté, à la façon d’un débutant, des articles que vient de lui consacrer Sainte-Beuve, se plaint un peu de ce que dans l’examen de ses poésies, il n’a pas parlé de celles où il a mis le plus de lui-même, des Émaux et Camées.

Il ne comprend pas cette application du critique, à trouver chez lui un côté amoureux, sentimental, élégiaque, dont il a horreur. Il dit que, bien certainement, dans les trente volumes qu’il a été obligé de pondre, il s’est vu forcé de donner aux bourgeois, par-ci par-là, la satisfaction d’un épisode d’amour, mais que les deux cordes de son œuvre, les deux vraies grandes notes de son talent, sont la bouffonnerie et la mélancolie noire.

« Enfin chez moi, s’écrie-t-il, ç’a été l’emmer… de mon temps, qui m’a fait chercher une espèce de dépaysement.

— Oui, oui, vous avez la nostalgie de l’obélisque ! lui disions-nous.

— C’est cela, et c’est cela que Sainte-Beuve ne saisit pas. Il ne se rend pas compte que nous sommes tous quatre des malades… ce qui nous distingue : c’est l’exotisme. Il y a deux sens de l’exotique : le premier vous donne le goût de l’exotique dans l’espace, le goût de l’Amérique, le goût des femmes jaunes, vertes, etc. Le goût plus raffiné, une corruption plus suprême ; c’est ce goût de l’exotique à travers les temps : par exemple, Flaubert serait ambitieux de forniquer à Carthage, vous voudriez la Parabère ; moi, rien ne m’exciterait comme une momie !