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mie… Voyez leurs portraits, leurs photographies… Il n’y a plus de beaux portraits… Les gens remarquables ne se distinguent plus… Balzac n’avait pas de caractéristique… Est-ce que vous reconnaîtriez, sur la vue, M. de Lamartine ? Rien dans la tête, les yeux éteints… seulement une élégance de tournure que l’âge n’a pas cassée… C’est qu’en ce temps, il y a chez nous trop d’accumulation… Oui, bien certainement, il y a plus d’accumulation qu’autrefois. Nous contenons tous plus des autres, et alors contenant plus des autres, notre physionomie nous est moins propre… Nous sommes plutôt des portraits d’une collectivité que de nous-mêmes… »

Michelet a remué, comme cela, de hautes idées, pendant près d’une demi-heure.

Nous nous sommes levés ; il nous a reconduits jusqu’à sa porte. Alors, dans la lumière de la lampe, qu’il portait contre lui, nous est apparu, une seconde, ce prodigieux historien de rêve, ce grand somnambule du passé, cet original causeur ; et nous avons vu, croisant sa redingote sur son ventre, dans un geste étroit, et souriant avec de grandes dents de mort et deux yeux clairs, un vieillard criquet, ayant l’air d’un petit rentier rageur, la joue balayée de longs cheveux blancs.

 

Au sortir du dîner de Magny, et en pérégrinant, au pas lent et balancé d’un éléphant qui, après une traversée, se souvient du roulis, — c’est le pas de Gautier d’aujourd’hui, — le cher homme, tout en étant