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visage à la fois sérieux et jeune, se tient sur une chaise, à côté du bureau, où est placée la lampe, le dos à la fenêtre, dans la pose un peu rigide d’une teneuse de livres dans une librairie protestante. Michelet est assis au milieu d’un canapé de velours vert, calé par des coussins en tapisserie.

Il est comme son histoire même, toutes les parties basses dans la lumière, le haut dans une demi-nuit ; le visage rien qu’une ombre, avec autour la neige de longs cheveux blancs, une ombre d’où sort une voix professorale, sonore, roulante, chantante, et se rengorgeant, pour ainsi dire, et qui monte et descend, et fait comme un continuel roucoulement grave.

Il nous parle avec une haute estime de notre étude sur Watteau, et passe à l’histoire si intéressante qui manque, à l’histoire du mobilier français. Alors, il nous esquisse, comme en des devis de poète, le logis à l’italienne du XVIe siècle, et les immenses escaliers au milieu du palais ; puis les grands plains-pieds amenés par la disparition des escaliers, et introduits à l’hôtel Rambouillet ; puis le Louis XIV incommode et sauvage ; puis ces merveilles d’appartements des fermiers généraux, à propos desquels il se demande si c’est l’argent de ces financiers, ou le goût particulier des ouvriers d’alors, qui les ont fait naître… puis enfin notre appartement moderne, même le plus riche… sérieux, démeublé, désert.

« Vous, Messieurs, qui êtes des observateurs, — s’écrie Michelet, abandonnant soudain le mobilier