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Il nous déroule ses fatigues, ses étapes forcées, ses dix-huit heures de cheval, ses jours sans eau, ses nuits dévorées d’insectes, les duretés incessantes de cette vie plus dures encore que le péril journalier… et brochant sur le tout une terrible dyssenterie. Toute la journée, il nous en lit de ces notes, et à la fin de cette journée, entièrement chambrée, nous avons la fatigue de tous les pays parcourus et de tous les paysages dépeints.

Comme repos, c’est coupé de pipettes, que Flaubert brûle vite, et de dissertations littéraires, et de thèses tout à fait en opposition avec la nature de son talent, et d’opinions de parade et de chic, et de théories assez compliquées et assez obscures, sur un beau, non local, non spécial, un beau pur, un beau de toute éternité, un beau, dans la définition duquel il se perd et s’embrouille, mais dont il s’esquive assez spirituellement par cette phrase : « Le beau, le beau… c’est ce par quoi je suis vaguement exalté ! »

Il est minuit sonné. Flaubert, qui vient de nous lire la fin de son voyage et son retour par la Grèce, veut encore lire, veut encore causer, et nous dit qu’à cette heure, il commence seulement à s’éveiller, et qu’il ne se coucherait qu’à six heures du matin, si nous n’avions pas envie de dormir.

8 novembre. — … Voici quelques hautes courtisanes qu’il m’est donné de voir. Toutes me font l’effet de simples prostituées. Dans la familiarité et l’intimité de la vie, elles ne vous apportent pas