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et son cabinet de travail. Point de cheval, point de canot… Toute la journée, d’une voix tonitruante, et avec des coups de gueule de théâtre de boulevard, il nous a lu son premier roman, écrit en 1842, et qui n’a d’autre titre sur la couverture que : Fragments de style quelconque.

Le sujet est la perte du pucelage d’un jeune homme avec une garce idéale. Il y a dans le jeune homme beaucoup de Flaubert, et de ses désespérances, et de ses aspirations impossibles, et de sa mélancolie, et de sa misanthropie, et de sa haine des masses… Toute la composition, sauf le dialogue très enfantin, est d’une puissance étonnante pour l’âge où Flaubert l’a écrite. Il y a déjà là, dans le petit détail du paysage, l’observation artiste et amoureuse de la nature de Madame Bovary. Le commencement du roman : « Une tristesse d’automne », est un morceau qu’il pourrait signer, à l’heure qu’il est.

Comme repos, avant le dîner, il a été fouiller dans des costumes : défroques et souvenirs, rapportés de voyages. Il remue avec joie tout son vestiaire de mascarade orientale, et le voilà se costumant, et montrant, sous le tarbouch, une tête de Turc magnifique, avec ses traits énergiques, son teint sanguin, ses longues moustaches tombantes… et du fond de ses loques colorées, il finit par retirer, en soupirant, la vieille culotte de peau de ses longues chevauchées, une culotte de peau toute ratatinée, — et qu’il considère avec l’attendrissement d’un serpent qui contemplerait sa vieille peau.