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Un jour, ce fut un tableau charmant. On les entassa dans un petit panier, traîné par un pauvre vieil âne, sur lequel tapait un garçonnet du village, à la blouse envolée ! Toutes riaient, criaient, se démenaient : une charretée de bonheurs de dix ans, et point de peintre pour rendre cela.

 

La mère qui regardait sa toute petite fille, sa fille de huit ans, se renversant sur moi, et me jetant par ses yeux, par ses gestes, par l’étreinte de ses mains, par tout son corps, la tendresse de sa petite âme si étrangement tendre, se mit à dire avec un sourire, le sourire de la Joconde : « Oh ! ma pauvre fille, tu es le sentiment… lui, il est l’esprit : il t’attrapera toujours ! » Et elle ajouta avec un soupir : « Oui, on peut la laisser ainsi encore quelques années, puis on essayera de refermer tout cela ! »

 

Voici, je crois, la première aventure d’amour flatteuse qui m’arrive.

Une petite bonne, une pauvre enfant trouvée de l’hospice de Châtellerault, servait les fillettes de Mme Marcille. Elle avait une de ces figures minables, ainsi qu’il semble qu’il y en ait eu au moyen âge, après les grandes famines, et des yeux, dont le dévouement jaillissait, comme à travers ceux d’un chien battu. La brave fille, un soir, en déshabillant sa maîtresse, se mit à lui dire : « Ah ! Madame, ce M. Jules, je le trouve si potelé, si gai, si joufflu, si gentil, que si j’étais riche, j’en ferais mon cœur ! »