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14 septembre. — Dîner chez Magny.

Il y a aujourd’hui bataille autour de l’histoire de Thiers, et il faut le dire, on est presque unanime pour le déclarer un historien sans aucun talent. Seul Sainte-Beuve le défend. C’est un si charmant homme ! Il a tant d’esprit ! Il possède une telle influence ! Et il vous peint la façon dont il enguirlande une Chambre, dont il séduit un député. Ce sont toujours les moyens d’argumentation et la manière de défense que j’ai vu employer à Sainte-Beuve. Qu’on lui dise : — « Mirabeau a trahi. — Oui, mais il aimait tant Sophie ! » Et il fera un tableau de sa passion pour sa maîtresse. Pour tout et pour tous, c’est ainsi.

 

Sainte-Beuve est parti. On est à boire le mélange de liqueur qu’il fait à chaque dessert : un mélange de rhum et de curaçao.

— Ah ! mais, à propos, Gautier, vous revenez de Nohant, de chez Mme Sand, est-ce amusant ?

— Comme un couvent des Frères Moraves. Je suis arrivé le soir. C’est loin du chemin de fer. On a mis ma malle dans un buisson. Je suis entré par la ferme, au milieu de chiens qui me faisaient une peur… On m’a fait dîner. La nourriture est bonne, mais il y a trop de gibier et de poulet. Moi, ça ne me va pas… Là étaient Marchal le peintre, Mme Calamatta, Alexandre Dumas fils…

— Et quelle est la vie à Nohant ?

— On déjeune à dix heures. Au dernier coup,