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vernement qui créerait un ministère de la Souffrance publique.

— Lu toute la journée le Tribunal révolutionnaire.

Penser que Carrier a pu faire massacrer des milliers de personnes, qui avaient des pères, des frères, des fils, des femmes, sans qu’aucun de ceux qui restaient, ait seulement essayé de le tuer. C’est triste pour l’énergie des affections humaines. Chose singulière ! Dans le seul grand assassinat de bourreau du temps, — et un assassinat de main de femme, — c’est la tête et non le cœur qui a mené la main.

Dimanche 16 août. — Je savais là-bas tous les ennuis de Gavarni, et le complet insuccès de l’expropriation de sa maison du Point-du-Jour.

Nous allons le voir aujourd’hui. Mlle Aimée me dit, en traversant les pièces du rez-de-chaussée : « Vous savez, il est très malade… Quand on lui a appris la décision du jury, il a eu une tache de sang à l’œil, comme à la suite d’un coup de sang. »

Nous entrons, et nous trouvons Gavarni dans son grand salon, au milieu de l’espèce d’obscurité, que font des persiennes fermées en plein jour. Il nous semble très pâle dans l’ombre. Nous entendons sa respiration oppressée. Il a peine à nous donner sa chaude poignée de main d’autrefois. D’une voix étouffée, il s’essaye cependant à nous faire ses ami-