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qui lui fait nous demander ce que c’est que le plan, que nous lui expliquons par ma tante, qu’il ignore aussi bien que le clou.

Mais c’est dans la vue compréhensive des images qu’il est surtout extraordinaire. Parmi les acteurs de la scène dialoguée, il ne voit rien, ne perçoit rien, ne distingue pas celui qui parle. Enfin c’est l’exacte vérité, je le jure, il va, dans une planche de deux personnages, il va jusqu’à prendre l’ombre portée de l’un d’eux pour un troisième personnage, et met un moment l’entêtement le plus comiquement colère, à voir trois individus en scène…

Et sur tout, il faut des explications qu’il note, qu’il boit. Il s’accroche au moindre mot technique que nous lâchons, le crayonne sur une feuille de papier, où il bâtit son article au moyen de points de repère, semés çà et là, qui lui donnent l’air du dessin d’un acarus du faux bourdon, grossi au microscope. À la fin il s’informe des peintres de mœurs des époques antérieures.

— Abraham Bosse, lui disons-nous.

— De quelle époque ? fait-il.

— Puis Freudeberg.

— Vous dites ?

— Freudeberg.

— Comment ça s’écrit-il ?

Ainsi il attrape, ainsi il saisit, ainsi il happe au vol, sans rien digérer, vos idées, vos notions, votre science… Et je pensais, en riant dans ma barbe, à l’espèce de dévotion religieuse, avec laquelle un cer-