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Dunant. Ces pages me transportent d’émotion. Du sublime touchant à fond la fibre. C’est plus beau, mille fois plus beau qu’Homère, que la « Retraite des Dix Mille », que tout. Quelques pages seules de Ségur dans la « Retraite de Russie » en approchent. Ce que c’est que le vrai sur le vif, sur l’amputé, sur le mourant de mort violente en pleine vie, sur cela, décrit par de la rhétorique, depuis le commencement du monde.

On sort de ce livre avec le maudissement de la guerre.

19 juin. — Tantôt Dieu m’apparaît comme un bourreau et un tortureur de la vie universelle, tantôt comme un mystificateur qui s’amuserait à couper des crins dans le lit du monde, enfin comme un empoisonneur des Paradis d’ici-bas, des ciels bleus, des beaux climats, des pays chauds, avec les fièvres, les féroces, les insectes.

22 juin. — Dîner de Magny.

 

Gautier. — « Les bourgeois ! Il se passe des choses énormes chez les bourgeois. J’ai traversé quelques intérieurs. C’est à se voiler la face… La tribaderie est à l’état normal, l’inceste en permanence et la bestialité…

Taine. — Moi je connais assez bien les bourgeois. Je suis d’une famille bourgeoise… Et puis d’abord, qu’est-ce que vous entendez par bourgeois ?

Gautier. — Des gens qui ont de quinze à vingt mille livres de rente, et qui sont oisifs.