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éclairés, elles ont l’air de bar de New-York. Des blouses s’agitent parmi la dorure de l’immense Café du Delta, mettant les soûleries de la guenille, sous le dôme d’une galerie d’Apollon.

J’entre au Bal de l’Ermitage. Plus une jolie fille. Tout est pris maintenant par l’argent, qui cueille tout en fleur, et fait de toute fillette jolie du peuple, une lorette.

Là, assis sur un banc, entre Lariboisière et l’abattoir, ces deux souffroirs de l’homme et de la bête, je reste rêvant, à respirer un air chaud de viande, à écouter de sourds beuglements venant jusqu’à moi, comme de lointains égorgements… Et pendant ce, j’entends, dans mon dos, trois petites filles blaguer la façon dont les sœurs leur font faire le signe de la croix. Oui, c’est bien le nouveau Paris.

1er juin. — Toute la liste de l’opposition passe à Paris. Penser que si la France entière était aussi éclairée que Paris, nous serions un peuple ingouvernable !

Au fond, tout gouvernement quelconque qui diminue le nombre des illettrés, travaille à sa chute.

6 juin. — Sept heures et demie, après une ondée. L’asphalte brillant, lavé de lueurs fugaces et d’ombres allongées, ainsi que dans l’eau courante d’un fleuve. Une douce lumière humide, dans laquelle le haut des maisons et des édifices étincelle de rose, avec les toits d’ardoises, les troncs d’arbres des promenades, les lointains des trottoirs, s’enlevant en violet.