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dées, tout cela allant, avec un mouvement d’immense manufacture, de prodigieuse usine, — d’une fantastique fabrique d’illusions, en pleine activité.

Là dedans des odeurs de quinquet, des vapeurs de gaz, des âcretés de vieille poussière, des sueurs de danseuses rousses, des émanations d’étoffes reteintes, l’haleine d’une population nourrie d’ail, des relents de misère, de saleté de corps, d’aigre de petits enfants.

Nous montons dans du noir, où l’on heurte des voix, nous ouvrons une loge de seconde. Le lustre est baissé, la rampe haute. Aux deux coins de la scène, sur des fauteuils de tragédie, sont assis, d’un côté Anicet-Bourgeois, de l’autre Marc Fournier, et un régisseur, une canne à la main, range des bataillons de danseuses, des légions de comparses, ainsi qu’un caporal prussien qui commanderait aux visions d’un songe.

Dans la salle grouillent, confusément mêlés, le théâtre et la vie, la rue et la féerie : des gens de l’endroit, en manches de chemises, attablés au velours des premières galeries, des danseuses blanches, nuageuses, diadémées de clinquant, leur jupe relevée en nimbe derrière elles, au milieu d’allumeurs de quinquets. Un prince Charmant, en costume d’argent, mouche un petit môme en blouse.

Sur la scène on s’agite, on se remue. Espinosa, le maître de ballets, arpente le devant du théâtre, en claquant la mesure dans ses mains. Les danseuses se trémoussent en costume, ou bien en jupon et en