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Porte-Saint-Martin… On danse sur la scène fermée par trois décors paradisiaques, au bruit d’un orchestre drolatiquement costumé et jouant le Pied qui remue, mené par Artus, travesti en vieux gendarme. Le bal ressemble un peu à ces tableaux de l’Humanité qu’on vend sur les quais, et où l’on voit l’Univers représenté en tous ses costumes. Il y a des Turcs de Carle Vernet, des bayadères de Schopin, et des zouaves, et des Bretons, et des Circassiens, et des mousquetaires, et des pompiers de la banlieue en maillot couleur de chair, ayant sur les jambes simulées d’horribles exostoses. Gil-Perez s’exhibe en collégien fort en thème, Mélingue en capucin. Fournier suivi de Mariquita en page, Fournier qui était tout à l’heure un Charles IX authentique, en est à sa seconde transformation, et se remontre en pioupiou, au nez mangé par un chancre.

Tout ce monde danse pour s’amuser, et presque toutes les femmes sont jolies, et font un ensemble blanc et rose, où il y a des yeux qui brillent de plaisir, des Saint-Esprit sautant sur de rondes gorges, de délicates chevilles et de petites bottines vertes s’échappant de la gaze bouffante des jupes, des cheveux poudrés, légers comme des marabouts, des passequilles de danseuse espagnole, se mêlant dans la contredanse, aux rubans flottants d’une Folie. Et la Ferraris, en son costume de villageoise, avec sa beauté ingénuement niaise, a quelque chose de la fillette de la Cruche cassée de Greuze, imprimée sur un cahier de papier à cigarettes.