Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/80

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

le squelette du petit Conquiaud fait le saut périlleux derrière la colline.

20 mai. — La Chartreuse de Bordeaux : longue allée de platanes entre les troncs desquels, s’étend des deux côtés, un grand champ d’avoine folle, dont les tiges albescentes, à tout moment creusées par la houle, découvrent quelque ange en plâtre agenouillé au pied d’un tombeau. Ce riant pré de la Mort est tout ensoleillé, avec, par-ci par-là, la pâle et aérienne verdure d’un saule pleureur répandu sur une tombe comme les cheveux dénoués d’une femme en larmes.

Soudain, dans le paysage, par une petite allée d’ifs ressemblant à des cippes végétaux, débouchait une bande d’enfants de chœur aux aubes blanches sur des robes rouges, marchant insouciants et ballottant leurs cierges tout de travers, et arrachant sur leur passage, d’une main qui s’ennuie, les hautes herbes de chaque côté du chemin.

Ici la pierre des tombeaux est recouverte d’une mousse rougeâtre, piquetée de noir, tigrée de petites macules blanches et jaunes, et sur laquelle quelques brins d’herbes plantés par le vent sont toujours ondulants et frémissants. Et partout des rosiers qui mettent dans ce cimetière une odeur d’Orient, des rosiers de jardin qui ont le vagabondage de rosiers sauvages et enveloppent de tous côtés la tombe et, se traînant à son pied, la cachent sous des roses si pressées, qu’elles empêchent le passant de lire le nom du mort ou de la morte.