Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/57

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Rachel « qui ne se serait pas plainte », ce qui était inutile à dire si cela était vrai, ainsi que je le crois. Enfin, c’était une tirade contre Janin, la bête noire du ministère de la police. Car j’ai oublié de dire que les lettres de N… et de R… avaient été copiées par nous sur les autographes, enrichissant un curieux exemplaire de Gabrielle d’Augier, faisant partie de la bibliothèque du critique des Débats.

Le lendemain, qui était un samedi, Villedeuil nous menait au Palais de Justice dans sa calèche jaune, une calèche qui tenait du carrosse de gala de Louis XIV et d’un char d’opérateur. Jamais si triomphante voiture ne mena des gens en police correctionnelle. Et le maître de la voiture, pour lequel notre procès était une grosse affaire de représentation, s’était fait faire pour la cérémonie un carrick prodigieux, un carrick cannelle à cinq collets, comme on en voit sortir à l’Ambigu des berlines d’émigrés. Ce fut à la grille du Palais une descente prestigieuse : ce jeune homme, tout en barbe, dans ce carrick, et sortant d’une voiture d’or. À la porte de l’audience, l’huissier ne voulant pas le laisser entrer : « Mais, criait Villedeuil, je suis bien plus coupable qu’eux, je suis le propriétaire du journal ! » En ce moment, il eût donné sa voiture avec son cocher et ses chevaux pour être poursuivi.

La salle avait deux fenêtres, une horloge, un papier vert. La Justice bourdonnait là-dedans. Le banc des prévenus se vidait et se remplissait à chaque minute. Et cela était rapide à épouvanter. Une,