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— La femme de quarante ans cherche furieusement et désespérément dans l’amour la reconnaissance qu’elle n’est pas encore vieille. Un amant lui semble une protestation contre son acte de naissance.

13 juin. — Bar-sur-Seine. Je m’éveille ce matin dans une chambre pleine de portraits d’aïeux et d’aïeules qui me regardent tous, dans le costume de leur profession ou dans l’habillement de leur classe, avec des accessoires aussi naïfs d’indication que les phylactères du moyen âge : le médecin avec un Boerhave à la main, le prêtre avec un paroissien, l’homme de banque avec une lettre de change. Il y a aussi un garde française au pastel tout pâle, une petite fille qui a un serin jaune perché sur un bras, une vieille femme noire, austère, janséniste, la mère inconsolable du garde française tué en duel à vingt ans. On sent dans ces portraits, l’ordre de la société passée, avec l’orgueil chez chacun, de sa profession, de sa position.

Aujourd’hui, un avoué se fait peindre en habit de chasse, un notaire en jaquette habillée pour les petits théâtres. Une bonne chose au fond que cette habitude ancienne de la transmission des portraits de famille : c’était un enchaînement de la race. Les morts n’étaient enterrés que jusqu’à la ceinture, et il y avait comme des patrons de votre conscience dans ces méchantes toiles, toujours sous vos yeux. Le bon exemple des vôtres vous entourait. Et dans