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— Les femmes demandant à être étonnées : le beau, c’est de les étonner par de la simplicité.

Dimanche 31 mars. — Déjeuner chez Flaubert avec Sari et Lagier, et conversation toute spéciale sur le théâtre… Ce n’est que depuis ce siècle que les acteurs cherchent en leurs silhouettes l’effet tableau : ainsi Paulin Ménier montrera au public des effets de dos pris aux dessins de Gavarni ; ainsi Rouvière apportera à la scène les poses tordues et les épilepsies de mains, des lithographies du Faust de Delacroix.

Sari parle curieusement de ses figurants à 20 sous, de ses choristes à 30 sous, de cette maladie incurable du théâtre qui fait que, quand on y a goûté, on y revient toujours ; de cette maladie du théâtre, qui est, dit-il, comme la prostitution et la mendicité. Il nous dit : ces ouvriers, la plupart très intelligents dans leur partie, lâchant des gains de 10 francs par jour, pour gagner de quoi manger, dans les cabarets borgnes de la rue Basse, une soupe à l’oignon de quatre sous ; — séduits, affolés, ces hommes, par cette vie incidentée du théâtre, cette camaraderie entre hommes et femmes, ce potinage des coulisses, et l’intérêt fiévreux aux chutes et aux succès des pièces représentées, et l’électrisation par les bravos du public.

Lagier, elle, cherche à définir l’odeur sui generis du théâtre, cette odeur générale faite de l’odeur particulière du gaz mêlé à l’odeur de bois échauffé des portants, à l’odeur de poussière poivrée des coulisses,