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17 avril. — Au fond des plaintes des fermiers, il y a ce fait incontestable. Il n’y a plus de bras pour les travaux de la terre. L’éducation détruit la race des laboureurs et par conséquent l’agriculture… Et tout en se lamentant, notre fermier Flammarion nous fait remarquer que nous marchons sur des champs à nous : impossible vraiment de plus ressembler aux champs des autres.

23 avril. — Un ennui vague qui n’a pas d’objet, et qui se promène de long en large chez moi. La vie est décidément trop plate. Il n’y a pas deux liards d’imprévu ici-bas. Il ne m’arrive rien que des catalogues de ventes, puis des bobos ressassés, des migraines connues. C’est tout. Je n’hérite pas d’un monsieur que je ne connais pas. Cette jolie maison que j’ai vue à vendre rue Larochefoucauld, on ne m’apportera pas ce soir sa donation sur un plat d’argent. Et quand je repasse toute mon existence, ça été toujours comme ça, rien qui sort du train-train des événements ordinaires et j’ai le droit d’appeler la Providence une marâtre.

Je n’ai eu qu’une aventure : je regardais, sur les bras de ma nourrice, un joujou, un joujou très cher. Un monsieur qui passait me l’a acheté !

— L’ennui est peut-être un privilège. Les imbéciles ne sentent pas s’ennuyer. Peut-être même qu’ils ne s’ennuient pas. Une révolution, tous les dix-huit ans, leur suffit pour se distraire.