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ture un peu sèche, mais d’une élévation d’idées extraordinaire.

Donc ils avaient inventé un personnage imaginaire, dans la peau et les manches duquel ils passaient, tour à tour, et les bras et leur esprit de blague.

Ce personnage assez difficile à faire comprendre, s’appelait de ce nom collectif et générique : le Garçon. Il représentait la démolition bête du romantisme, du matérialisme et de tout au monde. On lui avait attribué une personnalité complète, avec toutes les manies d’un caractère réel, compliqué de toutes sortes de bêtises bourgeoises. Ça avait été la fabrication d’une plaisanterie lourde, entêtée, patiente, continue, ainsi qu’une plaisanterie de petite ville ou une plaisanterie d’Allemand.

Le Garçon avait des gestes particuliers qui étaient des gestes d’automate, un rire saccadé et strident à la façon d’un rire de personnage fantastique, une force corporelle énorme. Rien ne donnera mieux l’idée de cette création étrange qui possédait véritablement les amis de Flaubert, les affolait même, que la charge consacrée, chaque fois qu’on passait devant la cathédrale de Rouen.

L’un disant : « C’est beau, cette architecture gothique, ça élève l’âme ! » Et aussitôt celui qui faisait le Garçon s’écriait tout haut, au milieu des passants : « Oui, c’est beau et la Saint-Barthélémy aussi, et les Dragonnades et l’Édit de Nantes, c’est beau aussi !… » L’éloquence du Garçon éclatait surtout dans une