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Et l’éternité, cette chose qui n’aura jamais de fin et qui n’a jamais eu de commencement. C’est cela surtout, l’éternité en arrière, que notre pauvre cervelle ne peut imaginer… Et pas une révélation, cela était si facile à Dieu… oui, de grandes lettres dans le ciel, quoi, une charte divine, imprimée clairement en caractères de feu. Ah ! le Buisson ardent devrait bien se rallumer… Enfin l’immortalité de l’âme, qu’est-elle ? Est-ce une immortalité de l’âme personnelle ? est-ce une immortalité de l’âme collective ? Collective, c’est plutôt à penser. La nature n’est pas personnelle, elle est collective. Oui, oui, une immortalité à la gamelle ! lui dis-je.

… Et songer que l’humanité est si jeune, songer que vingt-quatre centenaires, se tenant par la main, nous feraient une chaîne qui nous ramènerait aux temps héroïques, à Thésée…

Ah ! tenez, il faut en revenir à Kant : toutes les fois qu’il avait essayé d’échafauder un système, l’ayant senti s’écrouler, il a conclu qu’il n’y avait que la morale, le sentiment du devoir. Mais c’est diantrement froid, fichtrement sec… Pourquoi sur cette terre ? Pourquoi la mort ? Et puis après la mort ! Au fond, c’est la pensée fixe de l’homme. Et que personne de ceux qui sont morts ne soit revenu dans le rêve d’un vivant, à ce moment où il est délié de la vie, un père pour avertir son fils, une mère, une mère !… Ah ! mon cher, Diis ignotis, c’était un bel autel des Athéniens.

Au fond de ce monologue à bâtons rompus, je