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Mars. — Tous ces temps-ci, nous ne voyons personne, nous restons plongés et la pensée enfermée dans l’eau-forte. Rien n’occupe, rien n’arrache aux soucis comme ces distractions mécaniques. Distraction venue à temps et qui nous empêche de songer au retardement de notre roman dans la Presse. Allons, nous voilà dans les mains un outil d’immortalisation pour ce que nous aimons, pour le XVIIIe siècle, et nous roulons projets sur projets de livres à figures, popularisant par l’estampe les hommes et les choses de ce temps : d’abord une série sur les artistes par fascicules et dont la première livraison, Les Saint-Aubin, s’imprime dans ce moment chez Perrin de Lyon ; puis un Paris au XVIIIe siècle, donnant les tableaux et les dessins inédits ; enfin les personnages célèbres peints au pastel par La Tour, les masques et les têtes reproduites dans leur grandeur nature.

Il faut en ce monde beaucoup faire, beaucoup vouloir.

26 avril. — Il me semble que tout joue faux autour de moi. Je souffre au contact des autres. Le bruit des paroles et des gens qui m’entourent me blesse et m’agace. Ma bonne, ma maîtresse me paraissent plus bêtes que les autres jours. Mes amis m’ennuient, et me semblent s’entretenir d’eux-mêmes plus qu’à l’ordinaire. La sottise que j’accroche ou avec laquelle je suis forcé d’échanger quelques mots, me grince aux oreilles. Tout ce que j’approche, tout ce que je touche, tout ce que je perçois me gratte à rebrousse--