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7 juillet. — Été un peu revivre à Paris. Chez Saint-Victor, 49, rue de Grenelle Saint-Germain, au fond d’une grande cour, un petit salon aux murs tout couverts de dessins de Raphaël et des grands maîtres italiens, fac-similés par Leroy. Saint-Victor arrive, ébouriffé, non peigné, non bichonné, en déshabillé de tout l’être, et charmant garçon ainsi et beau comme un éphèbe de la Renaissance dans son rayonnant désordre, car il n’est pas fait pour l’habillement moderne qui le vulgarise et le perruquifie

— Un ouvrier ébéniste, d’un de ces mots de peuple, a devant moi défini le style de ce temps sans style, le style du XIXe siècle. Il a dit : « C’est une julienne ! »

— Pour arriver il faut enterrer deux générations, celle de ses professeurs et celle de ses amis de collège : la génération qui vous a précédé et la vôtre.

— Tous ces temps-ci, détente complète de l’activité physique et morale ; une somnolence qui irait à des nuits de dix-huit heures ; — dans l’éveil les yeux paresseux à voir, à observer ; — notre regard, sans notre pensée, feuilletant les livres et se traînant de l’un à l’autre ; — un grand effroi de faire moins que rien ; — la tête vide et pourtant lourde ; — le sang comme envahi par la lymphe ; — un lâche ennui ; — le remuement de la cervelle et du corps aussi durs pour nous que pour l’aï, qui passe une journée à se dérouler de son arbre ; — un état de l’âme sur lequel tout passe sans la secouer : les