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jaloux de sa collection comme un sultan, et peut-être est-ce la sagesse. Il a une maison à lui, dont il se rappelle à peine le chemin, une maison toute pleine de tableaux, de dessins qui se piquent aux murs, restant des six mois sans voir leur possesseur.

Cet original d’un très grand goût, s’appelle M. Laperlier. Il nous montre ses Chardin et ses Prud’hon, — et nous qui avons fait le vœu de ne jamais acheter de tableaux, — nous revenons amoureux de deux tableaux, il est vrai que ce sont deux esquisses : l’esquisse des Tours de Cartes de Chardin, une merveille de couleur gaie et papillotante qu’on ne rencontre pas d’ordinaire chez lui, et le portrait de Mlle Mayer par Prud’hon, le portrait que le peintre eut jusqu’à sa mort dans son alcôve, — un portrait où l’on dirait le sourire de la Joconde dans l’ovale ramassé d’une nymphe de Clodion.

6 juin. — Dîner chez le garde de la forêt de Saint-Germain. Saint-Victor, Mario Uchard, Aurélien Scholl et Jules Lecomte.

Jules Lecomte, cet homme dont nous n’avions entrevu dans l’ombre de son cabinet que le regard froid, métallique, mystérieusement intimidant, ne nous semble plus au grand soleil qu’un bourgeois, qui aurait des remords ou une maladie d’estomac. Il a l’air de porter son passé sur les épaules, avec la gêne et la réserve d’un monsieur qui ne veut tendre la main, que bien sûr d’en trouver une autre au bout,