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paradis des Mille et une Nuits. Un salon de dentiste décoré de papier grenat à fleurs, de divans de velours de coton rouge, de glaces aux cadres sculptés à la serpe par des Quinze-Vingts, d’une pendule représentant un jeune berger donnant à manger à une chèvre, en zinc imitant le bronze, d’un plafond peint où l’on voit, comme sur le couvercle d’une boîte de dragées de la rue des Lombards, deux Amours dans une couronne de fleurs.

Dix femmes panachées, bleues, roses, blanches, jaunes, sont couchées, affalées, vautrées sur les divans, en des coquetteries de bestiaux et avec de petits trémolo bêtes de leurs mules rouges. La conversation est celle-ci : « Sais-tu toi pourquoi les jeunes filles n’aiment pas l’architecture gothique ? — Oh ! Ah ! Ah ! Oh ! — C’est parce qu’elles n’aiment pas les vitraux… Qu’on devine l’ordure. Je ne veux pas la dire. Toutes vous entourent pour un soda, vous embrassent pour un soda, vous lichent pour un soda ; il y en a même qui vous promènent en vous offrant à l’admiration des autres, et en criant : « Qu’il est bel homme ! » — toujours pour un soda.

Et c’est ça, cette débauche insipide ! le plaisir et l’excès de toute la jeunesse élégante, bien élevée, même intelligente.

Je monte dans une chambre : c’est une très mauvaise chambre d’auberge dans une ville où les diligences ne passent plus.

Il faut convenir que les Parisiens d’aujourd’hui ne sont pas bien difficiles sur la mise en scène de leur