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voir si elle n’aperçoit pas ce monsieur sur le grand chemin de ses souvenirs.

Puis elle dit en éclatant de rire :

— Tiens, c’est comme à Milan, au théâtre de la Scala, un particulier qui me faisait des saluts, des saluts… Je disais : « Je connais cette bouche-là, » mais je ne reconnaissais que la bouche, absolument que la bouche…

— Te rappelles-tu, reprend tout à coup la Deslions, quand par ce sale temps nous avons été voir où s’était pendu Gérard de Nerval… Oui, je crois même que c’est toi qui as payé la voiture… J’ai touché le barreau. C’est ça qui m’a porté bonheur. Tu sais ça, toi Adèle, c’est la semaine suivante…

Après dîner, Quidant fait sur le piano l’imitation du carillon d’un coucou, auquel il manque une note.

Puis Anna Deslions et Juliette se mettent à valser, et cette valse de la blonde et de la brune courtisane, toutes blanches et tout envolées dans ce salon tendu de reps rouge et non encore meublé, est un charmant spectacle. Alors en tourbillonnant, et sans avoir l’air de rien, Juliette happe entre ses dents le collier d’Anna Deslions au bout duquel pend une grosse perle noire qu’elle mordille. Mais la perle est vraie, elle ne se brise pas sous ses envieuses quenottes.

— Un mot du peuple : À quoi penses-tu ? Au chapeau d’Henri IV ?