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son architecture, sa couleur, enfin nous la fait revoir : « Mais, nous dit-il, ce ne sera pas compris, il faut vous y attendre. Sur cent personnes qui liront votre Venise, à peine deux se douteront de ce que vous avez voulu faire. Ici, Édouard Houssaye et Aubryet sont enragés contre l’article… Et cela tient à une chose, c’est que le sens artiste manque à une infinité de gens, même à des gens d’esprit. Beaucoup de gens ne voient pas. Par exemple, sur vingt-cinq personnes qui entrent ici, il n’y en a pas trois qui discernent la couleur du papier ! Tenez, voilà X… qui entre, il ne verra pas si cette table est ronde ou carrée… Maintenant, si, avec ce sens artiste, vous travaillez dans une manière artiste, si à l’idée de la forme vous ajoutez la forme de l’idée, oh ! alors, vous n’êtes plus compris du tout. » Prenant au hasard un petit journal : « Tenez, voilà comme il faut écrire pour être compris… des nouvelles à la main… La langue française s’en va positivement… Eh ! mon Dieu, on me dit aussi qu’on ne me comprend pas dans le roman de la Momie, et cependant je me crois l’homme le plus platement clair du monde… Parce que je mets, je suppose, un mot comme pschent ou calasiris. Enfin je ne peux pas mettre : le pschent est comme ci, comme ça. Il faut que le lecteur sache ce que disent les mots… Mais ça m’est égal. Critiques et louanges m’abîment et me louent sans comprendre un mot de mon talent. Toute ma valeur, ils n’ont jamais parlé de cela, c’est que je suis un homme pour qui le monde visible existe. »