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sous la ligne, votre nom connu par un millier de personnes que vous ne connaissez pas, deux ou trois connaissances, un peu de réclame, vous guérissent du passé et vous versent l’oubli… Elles vous semblent si loin, ces larmes dévorées, ces misères, aussi loin que votre jeunesse. Vieilles plaies dont vous ne vous souvenez, que lorsqu’elles se rouvrent !

— On a aperçu, chez la portière, la toilette du coucher que la Deslions envoie par sa bonne chez l’homme à qui elle donne une nuit. Elle a, à ce qu’il paraît, une toilette pour chacun de ses amants, aux couleurs qu’il aime. C’est une robe de chambre de satin ouatée et piquée, avec des pantoufles de même couleur brodées d’or, une chemise en batiste garnie de valenciennes, avec des entre-deux de broderie de 5 à 600 francs, un jupon garni de trois volants de dentelle de 3 à 400 francs : un capital d’accessoires galants montant de 2,500 à 3,000 francs, qu’elle fait porter à tous les domiciles qui peuvent la payer.

7 avril. — Nous dînons chez Broggi, à côté d’un petit vieillard à cheveux blancs, qui est un des grands, des purs, des beaux caractères de ce siècle, asservi à l’argent. Ce petit vieillard dîne modestement à cinquante sous, après avoir donné, donné pour rien — car ces héroïsmes sans bruit et sans réclame sont invraisemblables — donné à la France une collection de plusieurs millions. Il se nomme M. Sauvageot.