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ture. Les générations de notre temps sont trop civilisées, trop vieilles, trop amoureuses du factice et de l’artificiel pour être amusées par le vert de la terre et le bleu du ciel. Et ici, je vais faire une singulière confession : devant une toile d’un bon paysagiste, je me sens plus à la campagne qu’en plein champ et qu’en plein bois.

Juillet. — Les tueurs d’animaux de la campagne, avant le quiqui du matin, boivent un verre de sang. J’entendais l’un, un jeune blond, à la tête bonasse, s’écrier en tapant sur sa poitrine : « Ce n’est point une poitrine que j’ai là, c’est un mur ! »

5 juillet. — À Croissy. — Un oiseau qui chante par intermittences et de petites notes d’harmonie claire tombant, comme goutte à goutte, de son bec ; l’herbe pleine de fleurs et de bourdons au dos doré, et de papillons blancs et de papillons bruns ; — les hautes tiges hochant la tête sous la brise qui les courbe ; — des rayons de soleil allongés et couchés en travers du dessous de bois ; — un lierre qui enserre un chêne, pareil aux ficelles de Lilliput autour de Gulliver, et entre ses feuilles du ciel blanc, que l’on voit comme à travers des piqûres d’épingles ; — cinq coups de cloche, apportant au-dessus du fourré, l’heure des hommes et la laissant tomber sur la terre verte de mousse ; — dans la feuillée bavarde, des cris d’oiseaux, des moucherons volant et sifflant tout autour de moi ; — le bois plein d’une