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rompant : « Avez-vous jamais regardé attentivement non le théâtre, mais la salle ? Avez-vous vu ces têtes ? Je ne sais pas, après avoir vu ça, comment on a le courage de parler au public… Le livre, l’homme en prend au moins connaissance dans la solitude, mais la pièce, elle est appréciée par une masse d’humanité réunie, une bêtise agglomérée. »

Puis lâchant le théâtre, après un silence où il reste un moment perdu dans ses réflexions, il s’écrie : « Ah ! la recherche, c’est une fière monomanie ! Maintenant, quand je ferai une lithographie de plus ou de moins, ça ne fera pas grand’chose pour ma renommée, au lieu que s’il y avait le théorème Gavarni, — hein, ce serait gentil ? »

9 juin. — Rue du Bac, au fond de deux ou trois cours, un vaste logis, retiré, tranquille, placide, avec de l’air, des coins de verdure, un grand morceau de ciel. Une porte derrière laquelle on entend, pendant plusieurs secondes, des pas avant qu’elle ne s’ouvre. Un domestique sans livrée. Un salon au meuble en palissandre et en velours rouge, et ayant l’aspect d’un salon du monde bourgeois riche — mais toutefois avec, au-dessus du piano, une copie du tableau du Mariage de la Vierge de Pérugin, et, en face, le Baptême de Jésus, un gothique brugeois.

— Pardon, Messieurs, voulez-vous entrer dans mon cabinet ?

Des livres tout autour. Des deux côtés de la cheminée des tableautins, et sur la bordure dorée