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croche-cœur, tout en se tapotant les lèvres avec la pomme d’or d’une petite canne, ou suçant le sucre d’orge du voyou des cintres.

— Rêve. Trois statues de la Mort. L’une, un squelette ; la seconde, un corps de phtisique portant une grosse tête ridicule ; la troisième, une statue de marbre noir. Ces trois statues posées sur des piédestaux dans une chambre, tandis que, dans l’ombre d’un corridor qui ne finit pas, se débattent des formes confuses faisant peur. À un moment, ces trois statues descendent lentement de leurs piédestaux, et me prenant par les bras, et me tiraillant à elles, se disputent ma personne comme des raccrocheuses de trottoir.

— Je copie ces quelques lignes dans de vieilles notes d’Edmond : « Quand je commençai à être un jeune homme, je me rappelle qu’allant au printemps dans la campagne, j’avais une impression langoureusement triste de cette terre à la pauvre petite verdure, de ces arbres maigrelets, de toute cette puberté souffrante de la nature, et je me surprenais des larmes dans les yeux, gonflé de désirs, les glandes des seins douloureuses, l’âme, pour ainsi dire, pleine de bourgeons. À cette époque, le désir de la femme, non chaudement sensuel, mais plutôt une aspiration vers elle, grêle, malingre, souffreteusement élancée, une aspiration ayant quelque chose de l’impression donnée par la contemplation d’une statuette de vierge gothique. Et peindre ce jour du printemps, un jour non flou, non rayonnant, non tamisé de l’or des chauds soleils,