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pied de son lit, à côté des commissaires qu’elle ne voit pas, loin du monde qu’elle n’entend plus !

La famille royale dînait chez le Roi, le 3 septembre. La Reine avait oublié l’embarras et la rougeur de Manuel lorsqu’elle lui avait demandé où était madame de Lamballe, et qu’il lui avait répondu en balbutiant : « À l’Hôtel de la Force[1]. » Tout à coup, ces bruits, ce sont les tambours ; ces cris, c’est le peuple. La famille royale sort précipitamment de table, et descend dans la chambre de la Reine. Cléry entre si pâle, que la Reine lui dit : « Pourquoi n allez vous pas dîner ? — Madame, je suis indisposé. » Les municipaux parlent bas dans un coin de la chambre. Au dehors les cris grandissent ; les injures contre la Reine montent et arrivent distinctes à l’oreille. Un municipal et quatre hommes du peuple débouchent dans la chambre : le peuple veut les prisonniers à la fenêtre… Les malheureux ! ils y allaient !… Le municipal Mennessier se jette sur la fenêtre, tire les rideaux, repousse la Reine… Le Roi demande, il interroge : « Eh bien ! dit un des hommes, puisque vous voulez le savoir, c’est la tête de madame de Lamballe qu’on veut vous montrer[2] ! »

La Reine n’a pas un cri ; elle ne s’évanouit pas. Morte d’horreur, elle demeure debout, pétrifiée, immobile, semblable à une statue. Elle n’entend

  1. Dernières années, par Hüe.
  2. Journal de Cléry.